II.
Le réveil
Un son lointain retentit. Un craquement, comme une branche énorme ployant sous un poids
assez considérable pour
la
briser. Ce bruit s’éleva avec force, alors que Nikos était encore étourdi,
les
yeux toujours fermés.
Il sentait son
dos endolori,
qui semblait être allongé sur le sol.
Un sol dur. Il ne bougea
pas. Le
jeune homme ressentait bien tout son corps, il avait mal partout, sa tête tournait encore. Il se concentra pour
reprendre ses esprits.
Que lui était-il arrivé au juste ? Il était parti pour
rejoindre ses parents au
Costa
Rica, alors que faisait-il allongé sur le sol ? Engourdit, prit de douleurs qui le lançaient à la tête, aux
bras,
au thorax et aux jambes.
Oui l’avion, il avait pris l’avion.
Il se souvint alors
du message rassurant du pilote, puis, des
soubresauts, des éclairs, de l'aile en feu,
du visage paniqué des passagers, du capharnaüm qu'il avait vu
autours de lui. Enfin, il revit ce même
pilote sortir
de sa cabine, l'avion se séparer en
deux, l'océan
se
rapprochant de plus en plus vite....
Il ouvrit les yeux.
Il y avait un
ciel bleu, un bleu comme on pourrait en rêver, comme on en voit rarement, il faisait beau là où il était.
Il sentit alors le soleil lui réchauffer la peau, ça lui faisait du bien, il se détendit,
apaisé, refermant les yeux quelques secondes, quelques secondes où il semblait réentendre des voix crier
autours de lui, des voix qui se demandaient où ils étaient, si tout allait bien, il eut l'impression de sentir
quelqu'un le soulever et le porter. Il faisait noir encore, des choses clignotaient autours de lui, il y avait des étincelles. Il finit par entendre la voix de celui qui le portait dire qu'il fallait sortir de là.
Il
grimaça.
Finalement, il rouvrit les yeux.
Le ciel était toujours aussi magnifique,
sa
tête ne lui tournait plus. Il crut entendre des cris d'oiseaux,
mais ceux de petits oiseaux, du genre gazouillis de moineau, ou autres petits oiseaux urbains, mais pas tout à fait ça encore,
quelque chose d’inconnu. Ils
n'étaient pas loin. Quelque chose de petit se déplaçait à ses côtés. Cette chose
semblait se frayait un chemin dans l'herbe haute dans laquelle était allongé le jeune homme. Il pouvait voir les brins monter à environ vingt centimètres au-dessus de ses yeux. Puis il les entendit s'éloigner.
Il laissa le vent lui caresser le visage, il était doux,
agréable.
Les
longues tiges verdoyantes se penchèrent légèrement et
bruissèrent, les brins se caressant doucement les uns les autres.
Il se dit qu'il fallait qu'il arrive à se relever un peu, histoire de voir où il se
trouvait exactement. Il fallut qu'il se concentre,
sa
tête lui faisait toujours bien
mal.
Il fallait qu'il y
arrive de toute façon, ne comptant pas rester allongé par terre toute la journée, mais, à
quel
moment de la journée se trouvait-il ? Il se dit que peu
importe.
Il plaqua ses
mains et ses
coudes
au sol pour s'aider à se relever, il ferma les yeux en fronçant les
sourcilles, esquissant une grimace.
Oui
en effet tout son corps lui faisait mal.
Au prix d’un effort immense, il réussit à s’asseoir.
Lorsqu’il rouvrit encore une fois les yeux, il vit des arbres devant lui, à quelques centaines de mètres
formant
une masse compact et sombre, ce
n'était donc pas que quelques arbres, mais
bien toute une
forêt, une forêt constituée de feuillus d'environ trois à dix mètres de haut, les couches
les
plus hautes
étant constituées de conifères qui semblaient atteindre une cinquantaine de mètres pour les plus élevés.
Les
troncs
de ceux-ci étaient vraiment énormes, certains pouvaient avoir quelques
dizaines
de mètres de circonférence, laissant apparaître d'immense racine tortueuse sortant du sol tel des arches déformées
plongeant sous terre.
En se tournant de gauche, puis de droite il s’aperçut que cette forêt l'entourait,
il
devait donc se trouvait
dans une clairière.
Nikos entendit des
voix. Celles d'un homme et d'une femme, ils n'étaient pas loin, peut-être à quelques
mètres derrière lui. Il ne pouvait toutefois pas distinguer
clairement ce qu'ils se disaient.
Il replia ses genoux se préparant à se relever, ayant encore un peu mal à la tête. Il vit alors que l’un de
ses genoux était écorché, le sang
avait coulé et son pantalon était déchiré à cet endroit. Il vérifia alors l'état de ses bras, le bras droit était
écorché également, présentant une assez
longue fente dont le sang rouge sombre avait coagulé. Par chance il n'avait qu'un T-shirt à manche courte, ce qui évitât que le tissu eût
été resté collé dedans. Il semblait que ses plais aient été sommairement nettoyées, le sang n'avait pas tant coulé que ça. Il se toucha l’arcade sourcilière gauche, d’où il ressentait une petite douleur,
comme un petit picotement. Il tâta une masse rugueuse qui lui traversait le sourcille de part en part, une grosse croûte s'y était formée. Il avait dû se cogner semble-t-il,
mais
alors où et comment ? Il se posait encore la question.
Il réussit à prendre appuie sur ses pieds, en s'aidant de ses
mains pour se lever. Une fois debout, les herbes ne lui
arrivaient plus qu'à hauteur des genoux. Il se retourna afin de voir qui parlait. Il aperçut effectivement un homme et une femme. L'homme lui apparaissait de dos et portait un complet blanc très sale, avait les
cheveux grisonnants, une haute stature, se tenant très droit, il semblait avoir de larges
épaules. La
femme, quant à elle, était de face, vêtue d'un tailleur bleu, elle était blonde et paraissait être bien
plus
jeune que l'homme. La jeune femme avait porté ses cheveux en arrière ce qui dégageait bien son front, Nikos y
remarqua alors une tache rougeâtre. C'était l'hôtesse de l'air qui était tombée juste à côté de lui juste avant que l'avion ne se brise et l'homme, ce costume blanc, c'était le pilote, il en ét ait sûr, c'est lui qui
s'était précipité hors de sa cabine.
La femme l'aperçut, elle montra le jeune
homme du doigt. Le pilote se retourna, en
effet il s’agissait bien lui. Nikos entendit des voix à sa droite, il
tourna la tête et vie six autres personnes assises dans l'herbe à
plusieurs mètres, il les reconnu immédiatement. Il y avait les deux japonais, le couple et leur fils et la vieille dame qui était à côté de lui dans l'avion. Ils étaient dans le même état que lui, les vêtements sales, et des contusions un peu partout. Les vieux vêtements violets de la vieille dame avaient de toute évidence bien mieux
résisté au
choc que les T-shirts,
jeans et autres costumes des autres.
Il vit le pilote et l’hôtesse arriver à sa hauteur. La jeune femme prit
un ton bienveillant pour lui parler de sa voix douce et claire :
- Comment te sens-tu ?
- J’ai connu mieux, grimaça Nikos. Mon bras me fait mal. On est où
là ?
- Aucune idée, répondit le pilote à la voix rauque et profonde. Et aucun
moyen de le savoir. Miraculeusement vivant sur une île au milieu de l’océan,
c’est tout ce qui a l’air d’être certain.
- Tu sais que nous sommes vraiment chanceux d’être là, murmura calmement
la jeune hôtesse. Nous-nous sommes écrasés ici, ce qu’il reste de notre avion
n’est vraiment pas beau à voir, nous sommes les seuls rescapés.
- Voyons Lyzie, objecta l’homme de blanc vêtu.
- Autant lui dire les choses clairement non ? Interrogea-t-elle en
fronçant les sourcils face à son interlocuteur.
- Il vient à peine de reprendre ses esprits, il faudrait peut-être…
- Non ça va, assura Nikos. Je peux entendre ce que vous avez à me dire.
- Notre survie tient vraiment du miracle, c’est ce que tu dois savoir.
- Il n’y a que nous ? Si peu ?
- Nous ne sommes que très peu nombreux à nous en être sortis, pour ma
part, quand j’ai repris connaissance, j’étais allongée par terre. Tu étais sur
le sièges juste à côté, tu avais perdu connaissance toi aussi, lui raconta la
jeune femme.
- Ils sont morts ? Tous morts ? Interrogea le garçon, les yeux
embués.
- Comme j’ai souhaité te l’expliquer, nous sommes des miraculés.
L’appareil a percuté le sol à grande vitesse, nous-nous demandons même encore
comment nous avons pu nous en sortir sans n’avoir rien de cassé. Nous sommes au
total neuf à avoir survécus.
- Oui, je vois les autres là-bas, marmonna Nikos la voix éprise de
sanglots, montrant du doigt les autres personnes qui parlaient entre elles un
peu plus loin dans la vallée.
- Tu sais, il ne reste plus rien là-bas, intervint alors le pilote en
indiquant une épaisse fumée noire qui s’élevait au-dessus des arbres plus au
sud. Ce n’est plus qu’un gros morceau de carlingue carbonisée. Tout a dû aller
très vite, je pense que la fin a été instantanée.
- Mon dieu, c’est horrible.
- Ne t’inquiète pas, nous sommes là. Tu as vu, nous avons déjà soigné
tes petites blessures, tenta de le rassurer Lyzie.
- Je ne me rappelle pas de ça, s’étonna le jeune homme.
- Tu n’étais pas encore tout à fait conscient à ce moment-là, tu
semblais divaguer. Après tout, c’est normal quand on a eu un tel choc.
Nikos se tint alors bras droit en grimaçant, son visage se déformant
littéralement.
- Qu’y a-t-il ? Demanda Lyzie.
- C’est ma plaie, elle me fait trop mal d’un
coup.
- Montre-moi, suggéra le pilote.
Le garçon lui tendit son bras, continuant de
grimacer.
- Effectivement ta
plaie est rouge et légèrement enflée. Elle s’infecte sûrement, pourtant elle
a déjà été nettoyée. Allez me chercher
la trousse de premier secours s’il vous plaît Lyzie.
La jeune femme se
dirigea alors vers le groupe de rescapés, se baissa et revint avec une caisse
blanche dans les mains. Elle s’accroupit dans l’herbe, ouvrit la boite et en
sortit un spray et un sachet de cotons blancs qu’elle tendit aussitôt à son
collègue. Celui-ci pulvérisa un peu de spray sur la plaie de Nikos qui fit une
nouvelle grimace en sentant les picotements que cela lui procurait. La blessure
fut ensuite nettoyée avec du coton. Tout avait l’air propre.
- Comment
t’appelles-tu ? Nous avons cherché à le savoir, mais nous n’avons ni
trouvé de papier sur toi, ni pu regarder quoique ce soit sur ton téléphone, il
est cassé.
Nikos tâta alors
machinalement les poches de son short, effectivement il n’y avait plus rien
dedans, même pas son IPOD.
- Heu Nikos, bredouilla-t-il
complètement désappointé en se rendant compte qu’il avait perdu ses médias si
précieux à ses yeux.
- Moi je suis Marc et
comme tu as pu le comprendre, voici ma jeune partenaire de travail, Lyzie.
Les yeux de l’homme
se posèrent une nouvelle fois sur la plaie du bras du jeune homme, son visage
prenant un air intrigué.
- Regarde, dit Marc.
Tu vois tout le long de ta blessure.
L’homme indiquait à
Nikos de multiples marques de petites tailles courant sur toute la longueur de
la plaie. C’est traces avait une forme concave, constituées de minuscules
pointillés, on pouvait en dénombrer quatre ou cinq de ce type.
- Qu’est-ce que
c’est ? Demanda le garçon l’air inquiet.
- Je ne sais pas, on
dirait comme de petites morsures laissées par de très petits animaux. SI c’est
le cas, c’est l’odeur du sang qui aurait pu les attirer.
- Quel genre
d’animaux ?
- Je n’en ai aucune
idée, je ne suis pas expert en la matière. Tu devais être tellement dans les
vapes que tu n’as rien senti. Tout ceci m’a l’air vraiment superficiel, pas de
quoi s’inquiéter je pense. Lyzie, passez-moi les compresses et le sparadrap
s’il vous plaît.
Elle lui tendit
alors. L’homme plaça les compresses sur la plaie et les fixa avec plusieurs
morceaux de sparadrap.
- Je pense que ça
devrait aller, tout est propre et bien protégé. Que dirais-tu d’aller voir les
autres ?
Le garçon ne répondit
que par un haussement d’épaule, gardant un air préoccupé.
- Il ne servirait à
rien de rester dans son coin, allez viens.
Ainsi, durant l’heure
qui suivit, Nikos fit la connaissance des autres survivants. Il prêta enfin
attention à la vieille dame qui se prénommait Colette et qui, dans sa robe et
son gilet violet et ses cheveux tout blancs, pensait bien avoir vu arriver sa
dernière heure. A soixante-dix ans, elle se trouvait encore trop jeune pour y
passer, surtout que depuis qu’elle avait perdu son mari – depuis peu – elle
espérait bien profiter encore longtemps de son existence. Les deux asiatiques, des jumeaux japonais en
vérité, Xin et Xan, tels étaient leurs prénoms, travaillaient comme commerciaux
dans une entreprise automobile nippone, n’avaient ni femmes ni enfants, la
trentaine tout juste et ne vivaient que pour leur travail qui leur avait
apporté une situation tout à fait confortable. Ils venaient d’ailleurs de
signer un contrat juteux pour l’installation d’une usine de construction de
moteur de voiture à Taiwan. La petite famille quant à elle, vivait comme Nikos
au Costa Rica et rentrait donc de vacance. Le père Patrick était à la tête
d’une entreprise de télécommunication, la mère Caroline elle, était professeur
d’anglais et avait son fils dans une de ses classes. Tous deux gagnaient
également plutôt bien leur vie et se permettaient de visiter les plus beaux
endroits de la planète, afin disaient-ils, d’enrichir la culture et d’inculquer
l’altruisme et le respect d’autrui à leur fils unique qui se prénommait
Mickaël. Ce jeune garçon avait douze ans et s’avérait être une véritable
pipelette à l’imagination débordante, qui, la peur passée, a eu vite fait de
changer la catastrophe à laquelle il avait réchappé en une aventure
extraordinaire. Contrairement aux adultes, il n’avait pas l’air de bien se
rendre compte de la chance invraisemblable qu’était leur survie.
Caroline passait
ainsi son temps la tête posée sur l’épaule de son mari, les yeux prêts à
déborder de larmes à tout instant. En tant que chef de famille, ce dernier se
devait de rester homme et de ne pas plier sous le poids rétroactif du choc.
Les deux jumeaux
n’étaient pas bavards, on ne les entendit que très peu s’exprimer sur la
tournure des événements de la nuit précédente.
Bien sûr, la question
de savoir où ils se trouvaient était sur toutes les lèvres. D’après le pilote
quelque part au beau milieu de l’océan, mais ce qui le chiffonnait c’était que
le sur le dernier relevé satellite, rien n’indiquait la présence du moindre de
bout de terre dans les derniers environs survolés. D’ailleurs, ce n’était pas
la première fois qu’il passait sur cette voie aérienne, et jamais aucune île ou
quoique ce soit d’autre n’y été jamais apparu.
Bientôt, un nuage de
fumée noire passa au-dessus de leurs têtes. Le vent venait de changer de
direction et entraînait avec lui les restes des volutes provenant de la
carcasse incandescente de l’avion qui se trouvait non loin dans la forêt. Le
ciel s’assombrit alors et toute les poussières et les gazes transportés dans
l’air vinrent leur piquer les yeux et leur gratter les bronches. Plusieurs
toussotements se firent entendre.
Peu après, un
grincement très sonore suivit d’un grand fracas firent taire le silence qui
régnait dans cette grande clairière. Des oiseaux aux couleurs vivent
s’envolèrent en poussant de petits cris effarouchés. Marc se tourna alors vers
les autres :
- Notre avion n’est
plus qu’un lointain souvenir désormais.
- Que nous
suggérez-vous de faire ? Lui demanda Patrick le ton grave.
- Le jour s’est levé
il y a peu de temps, il a l’air de faire beau, le mieux serait je pense de
trouver un espace dégagé en hauteur. Si jamais des secours nous sont envoyés,
ils pourraient nous repérer plus facilement. En faisant un feu, ou en laissant
de grandes inscriptions sur le sol, visibles du ciel. Il faudra sûrement se
trouver ou même construire de quoi s’abriter en cas de pluie car les secours
pourraient prendre plusieurs jours avant de nous localiser. Il va falloir
trouver de quoi manger, trouver de l’eau douce. Je propose donc que nous
allions gentiment entreprendre de traverser cette forêt dans une premier temps
et nous verrons ensuite où cela nous mènera. De toute façon il n’y a pas
grand-chose de plus à faire pour le moment.
- Chouette, une
expédition, s’égosilla Mickaël.
- Arrête veux-tu,
gronda son père. Navez-vous pas dit vous-même que la présence de cette île ici
vous surprenait ? Si personne ne connait cet endroit, comment pourrait-on
nous retrouver ?
- Le signale radar
leur indiquera où l’avion apparaissait pour la dernière fois sur les écrans et
je suppose que si nous réussissons à signaler correctement notre présence avec
une fumée assez visible, il serait possible qu’un appareil de recherche
l’aperçoive.
- J’aime pas quand tu
me gronde comme ça devant tout le monde, protesta séchement le jeune garçon en
parlant à son père.
- Ecoute, lui
répondit sa mère de sa voix perçante sans perdre de temps le visage gonflé et
rougi par la mélancolie et les larmes jaillissant soudain de ses yeux tout
ronds. Il faudrait que tu prennes du recul sur ce qui nous arrive. Des
centaines de personnes sont mortes cette nuit, nous sommes au milieu de nulle
part, il n’est vraiment pas temps pour les réjouissances.
- Ne vous emportez
pas, tenta de la calmer le pilote. Il est bien plus rassurant de le voir ainsi,
plutôt que retranché et inactif. Il donne au-moins l’impression d’aller bien ce
jeune homme.
A ces mots, Mickaël
se tourna vers Marc, lui affichant un large sourire de satisfaction.
- Allons-nous laisser
les corps de ces pauvres personnes comme ça ? Demanda Caroline avec une
voix tremblotante.
- Nous n’avons pas le
choix je le crains. Je veux dire par là que nous ne pouvons nous en occuper,
ils sont nombreux et dans un état impossible. Il est bien mieux de tout laisser
en place et de laisser faire les professionnels qui viendront s’en occuper.
Nous n’allons pas enterrer ces gens ici, leurs familles les réclameront. En
prononçant ces mots, Marc sentit un nœud dans son estomac, puis comme un
vertige. Le fait de parler encore de toutes ces personnes qui étaient dans
l’appareil qu’il pilotait lui donnait de véritables nausées. Le malaise
l’envahissait tant il arrivait à se sentir responsable de la disparition de ces
gens. Je pense qu’il n’y a rien à faire, reprit-il en tentant de paraitre le
plus normal possible. Colette, vous sentez-vous prête pour une possible longue
marche ? S’inquiéta-t-il ensuite.
- Si nous n’avons pas
d’autres options, renchérit-elle avec un léger rictus. Je n’ai d’ailleurs
presque plus mal à mes articulations.
Tous se levèrent, ramassant ce qu'ils avaient pu garder avec eux et se mirent alors
en marche. Ils traversèrent rapidement la clairière aux herbes hautes. Un oiseau s'envolait de temps à autre à leur passage, on n’entendait pas les
japonais parler alors que Mickaël entreprit de marcher en éclaireur, laissant un air inquiet sur le visage de sa mère. Le père juste derrière, lui tenait la main gardant un air tendre et protecteur. La vieille dame était escortée par Lyzie et Marc, les surprenant par sa forme pour
une femme aussi âgée, ayant survécu
à un crash aérien au
beau
milieu de nulle part.
Nikos
observait les alentours,
se
demandant bien ce qu'allait leur
réserver cette forêt.
Le vent s'était calmé depuis peu, mais il restait dans l'air l'odeur âcre et étouffante de la carcasse fumante
de l'avion.
Ils étaient donc neuf survivants, neuf parmi des centaines
de passagers
qui ont dû périr noyés où brûlés. Un frisson d'angoisse parcouru alors Nikos qui ne cessait de se refaire la scène qu'il avait vécu
la
veille au soir. L'aile en feu, les bruits, Lyzie se cognant en tombant, le pilote se démenant à gagner la queue de l'appareil, et puis enfin, l'avion qui se coupe en deux... l'avion qui se coupe en deux ? Il voulait avoir une explication sur ce
phénomène, mais il devrait attendre. Ils étaient neuf sur des centaines, à
ce tarif-là ce n'est plus un coup de bol de s'en être sorti ce disait-il, il doit y
avoir autre chose là-dedans,
pourquoi neuf sur des centaines ? La vie était parfois étrange.
Ils pénétrèrent dans la forêt. Étonnamment silencieuse, pas un seul bruit, pas un cri d'animaux, pas un chant d'oiseau,
aucun bruissement excepté peut-être le grincement provenant du plus profond des
grands troncs ternes qui les entouraient bientôt. Cela en devenait
presque inquiétant. Le sous-bois était sombre, un rayon de soleil transperçait de part en part, à la faveur d'une troué dans la cime des arbres, ce qui donnait assez de lumière pour y voir clair. Le sol était noir, terreux, avec des
zones végétales formées de fougères et autres graminées par
endroit. Les grosses racines, épaisses
comme deux fois un corps humain, façonnaient le paysage, le rendant vallonné. Des amas de feuilles jonchaient le sol de temps à autre, mais la matière dominante
restait bien ce mucus
noir
et terreux. On entendait juste le vent faire bruisser les feuilles situées sur les plus hautes branches
à la faveur des quelques rafales maritimes, faisant par la même, grincer
le bois de plus belle. La forêt chantait.
Cette douce mélodie irréelle emplissait l'air et les accompagna tout au long de leur marche, entre
creux et bosses, racines et amas de végétation.
Ils
ne croisèrent aucune espèce animale hormis quelques insectes ou autres araignées qui avaient eu la bonne idée de tisser leurs to iles géantes au milieu des végétaux. Mickaël
eut
d'ailleurs l’intention ingénieuse de plonger dans l'une d'entre elle, ce qui
lui valut une
bonne remontée de bretelle de la part de sa mère, qui perdit ensuite
vingt bonnes minutes
à tenter
de lui
retirer les longs filaments collants qui
lui entravaient tout le corps. Cette situation donna l'occasion de faire une pause et d'une bonne tranche de rire pour le reste du groupe.
Au bout de ces vingt minutes de décontraction,
ils
reprirent leur
route. La forêt ne semblait jamais
s'arrêter, la perspective était très monotone. Il leur fallait parfois tout de même faire attention de bien lever
les
pieds afin d'éviter de se tordre une cheville sur
le
sol dérangé de cet endroit. La voix douce et emprunte d’inquiétude
de Lyzie se fit entendre :
- Cette forêt
me fait froid dans le dos.
- Je me
disais la même chose, confirma Caroline.
À mesure qu'ils avançaient dans cette demie pénombre, la température baissait, la
lumière du soleil
avait de plus en plus de mal à pénétrer au travers
des houpiers qui allaient en se rejoignant et s’entremêlant comme de longs
doigts biscornus et décharnés refusant de se lâcher. Le sol était, quant à lui, de moins en moins meuble
et de plus en plus poussiéreux.
Un long cri aigu,
véritable horreur auditive à s’en glacer le sang
résonna alors de part en part, ricochant sur le tronc majestueux, si bien qu’il était impossible de savoir
d'où
en venait la source.
Caroline
intervint presqu’aussitôt :
- Qu’est-ce
que c’est ?
Elle se colla
littéralement à son mari.
- Je ne sais
pas, répondit calmement Marc surpris lui aussi par ce qu’il venait d’entendre.
Probablement un animal.
- Il n’avait
pas l’air bien heureux, enchérie Colette qui s’avançait vers lui.
- Nous sommes
dans les bois après tout. Il est donc normal d’y entendre des bruits en tout
genre. Ne nous inquiétons pas pour rien, rassura Marc de sa voix profonde et
apaisante.
Dépassant bien vite ce mini évènement, ils se remirent en route.
L'endroit devint alors
de moins en moins sombre.
Le soleil commençait à percer plus facilement la couche végétale, de gros halos lumineux rendaient tout à coup la forêt plus belle, colorée d'un revêtement
doré. On entendait moins le vent dans
cette partie du sous-bois, les
arbres
étaient plus
haut, la
végétation se densifiait, on y voyait plus de fougère, à quelques endroits plus humides poussait même
ce
qui semblait être des prêles. Des chants d'oiseaux
s’élevèrent, l’atmosphère était plus douce, plus chaleureuse aussi. Le
soleil chatouillant les corps ses rayons revitalisant.
Ils continuèrent leur marche.
Au bout de ce qui semblait avoir
été un bon quart d'heure, ils se retrouvèrent devant un amas de fougères arborescentes, toutes hautes de plus de trois mètres.
Le tapis végétal recouvrait une
telle superficie qu'ils devaient être obligé d'en
entreprendre la traversé.
- Faites
attentions aux piqûres d’insectes, ces fougères doivent en être infestés,
prévint Marc.
Ils traversèrent
le champs filicifère sans grande difficulté, marchant durant
cinq bonnes minutes, n'ayant rien d’autre autour d'eux que cette ama de longues feuilles drues qui
allaient jusqu'à leur caresser le visage. Ils
durent tout de même écarter les nombreuses tiges qui leur barraient la route.
À cette endroit l'humidité
se
faisait grandement ressentir, le sol était devenu boueux et glissant, des libellules et une myriade
d'autres petits insectes ailés s'envolèrent à mesurent qu'ils avançaient. Le
lieu avait l'air
d'un
ancien
marécage.
Lyzie émit même un petit cri étouffé lorsqu'elle vit une petite grenouille sauter à ses pieds
et
disparaître dans la végétation.
Sortit de là,
Marc s’arrêta.
Ils se trouvaient au sommet d'une tranché d'où s'élevait un tronc d'arbre penché,
ils
ne pouvaient pas en
voir
la
base à cause de l'angle mort produite par l'arrête rocheuse qui se trouvait à
environ trois mètres d’eux.
Pourtant quelque chose n’allait pas. Depuis quand un tronc d'arbre pouvait-il se balancer de gauche à droite aussi souplement sans risquer de rompre
? Qui plus est, sans le moindre souffle de vent. Et surtout
depuis quand
un tronc d'arbre émettait-il des grondements ?
Ce qui était en fait une longue queue se plaça alors
à l'horizontale au moment où l'énorme bête releva son buste. L'animal devait
mesurer dans les douze ou treize mètres de long, et faire plus de
cinq mètres de
haut.
Il possédait une tête immense garni de crocs acérés d'où coulait du sang et pendait des lambeaux
de chair. Les pattes avant munies de seulement deux doigts étaient ridiculement petites comparées aux membres postérieurs énormes
et
puissants. Son corps et sa tête étaient marron, la colonne vertébrale striée
de
bandes marrons noires plus foncées,
le
ventre, le cou
et
la base de la queue étaient quant à eux plus clairs.
L'animal avala ce qu'il avait entre ses crocs en faisant éclater les os sous la
pression de ses mâchoires avant de se baisser à nouveau et de relever la tête la gueule pleine de viande rouge et sanguinolante. Il ne mâchait pas, il engloutissait à coup
de grandes bouchés sa nourriture.
Ils restèrent pétrifiés devant le spectacle qui se présentait à eux.
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